TENTATIVE D’INDÉFINITION DU TERRITOIRE DE NOS REPRÉSENTATIONS
Enjeux pour une proposition pandisciplinaire
Ouverture(s) se pense comme un atelier de recherche perpétuelle, dans la continuité de ce qui a été fait pendant plus de trois ans avec la recherche Projet Jouir au sein de L’L - Chercher autrement en arts vivants à Bruxelles - Lire ICI le préambule à la création d'Ouverture(s).
Nous cherchons à proposer un espace de conversation inédit entre l’artiste, l’oeuvre en train de se construire et le public.
Ouverture(s) est tout à la fois une représentation-exposition, un temps de résidence de recherche et de création et un espace de médiation avec les publics. L’espace scénique reste espace scénique mais pour autant il devient studio ou atelier d’artiste et aussi place publique pour converser avec les visiteurs. L’architecture du théâtre devient fluide.
Il n’est bien entendu pas question de proposer la représentation d’une « fausse » résidence de travail.
Nous avons mis en place différents modules performatifs qui convoquent la nécessité d’être dans une réalité de travail, comme le module Écrire dans lequel l’interprète s’attache à chaque session à avancer dans la composition de son geste global. Les Activités d’atelier fonctionnent aussi sous la forme d’exercices autour de la problématique corps - objet - environnement et se renouvellent à chaque période de résidence en fonction notamment des objets que nous décidons d’appréhender. Les premières sessions se sont attachées à interroger la relation du corps et de l’espace dans lequel il se trouve avec 10 cubes de bois et lors d’une seconde période de travail les contraintes rencontrées par un corps relié à l’espace par une multitude d’élastiques de couture tout à la fois empêchants et soutenants. Beaucoup d’autres possibles s’offrent à nous et notamment autour de la question du végétal.
En parallèle, certains modules, plus écrits ou plus protocolisés, emmènent quant à eux sur le terrain de la répétition, comme le module Routine(s) qui s’attache à la mise en corps matinale préalable au travail chorégraphique et plastique qui suit et enfin d’autres modules se positionnent comme des représentations à part entière (Audition, Postures de repos).
Au-delà de ces pièces qui posent des modalités et des temporalités différentes au sein d’un même espace, coexiste aussi l’objet plastique. Ainsi, Ce qui en découle est en lien avec le module vivant Hôte de salle, le commente (Retours) ou devient son partenaire de travail (Modèles à conversation). Les objets comme les corps sont envisagés de manière horizontale, en tant que protagonistes de la chose en train de se faire.
L’enjeu fort pour nous est de dégager des modalités de partage et de monstation hybridées entre celles proposées par les espaces d’exposition et celles proposées par le théâtre mais aussi d’hybrider voire même de dissoudre les relations habituelles ou entendues que nous entretenons face à un objet ou à un corps actant pour en expérimenter plusieurs autres.
L’espace dans lequel nous proposons au spectateur-visiteur de se plonger n’a pas les codes du théâtre ni ceux du musée ; il en joue, les déplace, les contrarie pour expérimenter une autre épreuve face à l’art, celle d’être chercheur soi-même, en même temps et au même titre que les artistes.
Il faut pour cela que les interprètes puissent se rendre disponibles pour accompagner le spectateur-visiteur dans le labyrinthe de ce projet multiple et étrange afin qu’il puisse s’approprier au mieux le maximum d’éléments mis en jeu et échanger avec nous à propos des problématiques qui animent cette proposition tant sur le fond, que sur sa forme (ou son informe), sa méthodologie et sa façon de se partager.
Le principe de l’atelier, au contraire de celui de la représentation, permet à l’interprète comme aux co-porteurs du projet la rupture, l’arrêt, la pause puisqu’il n’est pas encore temps de donner à voir un ensemble logique qui se déroulera sans interruption pendant une heure ou une heure trente.
Le spectateur devenu chercheur peut alors aussi interroger sa propre pratique de regard, ses attentes assouvies ou pas. Nous ne savons rien tant que nous n’avons pas eu la possibilité de l’expérience. C’est par l’expérience, par le « faire » et par l’échange avec d’autres que peuvent se construire une pensée et une réflexion justes sur les différents sujets qui jaillissent ici, comme la notion de discipline, la notion de représentation, de partage, de ce qui se montre ou de ce qui ne se montre pas.
Car d’une certaine façon, ce qui trame en lame de fond une grande partie d’Ouverture(s), c’est la notion d’ « obscène » dans son sens étymologique de « hors de la scène », ce qui est immontrable. Ce que nous montrons avec cette pièce, c’est le processus et les modalités mises en place avant que la chose soit dite « montrable ».
Ouverture(s) s’intéresse à ces à-côtés, à ces préalables, à tout ce qui pourrait, d’une certaine façon, être impropre à la représentation et qui, pourtant, déploie tout un ensemble de matériaux chorégraphiques, plastiques, dramaturgiques et sensibles engageant le dialogue et la conversation plus simplement parce que rien n’est encore fixé ou figé, que la chose reste fragile, fluide, modulable.
Nous cherchons d’une part à déplacer le centre d’attention de l’œuvre achevée vers ce qui la précède ou vers ce qui est mis en jeu pour qu’elle advienne et d’autre part à ce que le regard du public ne soit pas porté sur la finalité de la pièce, la considérant comme un objet de consommation supplémentaire mais sur le parcours de l’objet en question qui tente de mettre en place un éco-système utopique ouvert et poreux dont il est intéressant de rendre compte.
Enfin, nous sommes conscients que cette proposition ne peut s’inventer que sur un temps long de présence. Nous envisageons d’être, au sein du théâtre, plus proche d’une temporalité d’espace d’exposition (amplitude d’ouverture = 7h).
Il s’agit de prendre ou reprendre le temps nécessaire à la rencontre, et proposer l’expérience sans l’imposer, en accompagnant l’autre dans ses choix ou en le laissant s’ébattre parmi les différentes propositions comme il l’entend.
Laisser du champ libre, du champ d’action, du temps et du choix.
Différents lieux peuvent se prêter au déploiement des propositions, la scène, une salle de répétition ou l’espace public (sous certaines conditions concernant le nu) ou d’autres espaces plus atypiques de représentation.
Cet espace de jeu sera à chaque fois l’occasion de repenser un agencement spécifique des différents objets en présence, en jouant de superpositions, de mises en parallèle, de transferts de l’un à l’autre, de temps de pause partielle.
Le spectateur, lui, est libre de circuler dans l’espace le temps qu’il décidera de le faire.
Les pièces seront tout à la fois exposées et performées au sein d’une sorte d’exposition chorégraphique.
Il est intéressant pour nous de ne pas figer une forme de monstration définitive mais de composer avec l’architecture du lieu, ses contraintes et d’articuler spatialement et temporellement nos objets en fonction.
De plus, tous les modules ou objets n’ont pas vocation à être présentés obligatoirement, ce qui constitue la totalité du projet peut s’envisager comme un catalogue de recherche et de création dans lequel nous pouvons piocher selon les besoins, et pourquoi pas composer en lien avec le lieu d’accueil, et par là nouer un dialogue singulier avec chaque lieu.