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Je dis : 

Cette phrase est mon bras droit.

 

C’est vrai puisque je vous le dis.

Nommer, c’est rendre réel.

 

Je dis : 

Au bout des doigts de mon corps bras droit, il y a de multiples petites bouches et je goûte tout ce que je touche.

 

Mon corps bras droit aux doigts bouchus. 

Mon corps bras droit aux doigts bouchus. 

Mon corps bras droit aux doigts bouchus.

 

Elle n’est pas aisée à articuler ma réalité. 

 

Je dis : 

Mon corps bras droit aux doigts bouchus est surmonté d’une touffe de poils pubiens à l’iris bleu-gris. 

 

Je dis : 

Vu du dessus, on aperçoit une délicate tonsure qui découvre une cavité élastique qu’on peut soupçonnée d’être reliée à toutes les bouches des doigts. Un tunnel sombre et humide dont les deux extrémités peuvent, tout à la fois, recevoir et donner. Deux zones à l’extrême plasticité, hypersensibles et indépendamment intelligentes pour mettre mon corps en conversation avec tout ce qui est hors de moi.

 

Le corps hors de moi est vaste.

Il y a des ensembles, des bouts, toute une constellation qui gigote en tout sens, en toute forme. J’ai bien fait de me faire un corps qui veut entrer en discussion parce que je ne comprends rien de ce qui gravite autour de moi. 

Tout m’est étranger. 

Si tout m’est étranger, je peux supposer que je le suis tout autant pour ce vaste corps hors de moi.

 

Alors je décide de me mettre en mouvement, sans trop savoir si c’est une bonne idée que de se faire remarquer au milieu de tout ça.

 

Je dis :

J’entrouvre mes cavités pour laisser échapper une jolie fumée accueillante qui procède dans le même temps d’un subtil camouflage de mes gestes hasardeux et me fait me sentir moins con.

J’articule mollement mon poignet pendant que mes doigts, eux, se tendent dans des directions opposées. J’ondule ma peau, la détache, l’envoie en éclaireur, et ma chair toute nue s’irise de couleurs qui ne portent pas de nom. 

 

J’ai un peu peur et en même temps je suis humide.

Un désir affolé par ce qui me frôle, par ce qui est susurré à mes capteurs et que je ne comprends pas encore, que je ne comprendrais peut-être jamais.

Je reste dans ce flou où tout est là sans s’imposer. 

C’est à moi de décider ce que je prends, ce que je laisse, ce que je creuse, ce que j’éloigne. C’est à moi de décider de ne pas décider aussi. 

 

Je dis :

Je me balade dans les rues du vaste corps hors de moi en laissant sur mon passage tout un stock d’indices de ce que je suis, de ce que je ne suis pas, de ce que je pourrais être, de ce que je devrais être. Je bave des bouts de moi par tous les trous. Je fabrique des preuves à convictions incohérentes, je constitue un dossier irrecevable à charge volatile.

 

Et tout à coup, alors que j’allais faire l’amour à un polygone aphrodisiaque, une éblouissante lumière a tout cramé sur son passage.

 

Mes capteurs s’acclimatent difficilement à la luminosité agressive et tournoyante mais, lentement, se dessinent les contours d’un corps. 

Une lèvre inférieure légèrement pendante et une expression à la fois ahurie et affirmative imprimée sur la rétine me fixe.

Sur son dos athlétique, il porte un aigle crevé au plumage rouge et noir. L’aigle crevé est  cousu un peu maladroitement sur son costume bleu foncé. 

Ce corps a des yeux équipés de l’application reportapp, qui permet à tout bon citoyen de filmer les incivilités dans l’espace public et de les lui transférer immédiatement. 

 

Je dis :

Ben Merde alors ! Christian Estrosi !

 

J’expulse plus de fumée pour tenter de me planquer mais il est déjà trop tard. 

Ses ailes balaient mon flou, le corps hors de moi se glace, le polygone s’est tiré.

Je vais me faire emboucaner.

 

Je dis :

Ne me mettez pas en examen. 

Ni de conscience, ni psychiatrique. 

Ce n’est quand même pas de ma faute si, de votre point de vue, je ne ressemble à rien ou que je me déplace n’importe comment. Je n’emmerde personne finalement.

Je me permets aussi de vous faire remarquer que vous vous êtes incrusté dans ce texte sans grande politesse, voire un peu violemment, en me cramant les capteurs et en me cassant mon coup avec le polygone. 

   

À l’évidence, il ne m’écoute pas.

Je crois bien qu’il est en train de tweeter un truc, les nouvelles tables de la loi sûrement. 

Il n’en a rien à secouer de ce que je lui raconte. 

Il a posé son grand corps fixe dans mon texte en faisant une entrée fracassante qui ne pouvait pas vraiment passer inaperçue et il me laisse composer avec sa gênante présence.

 

Très bien.

Reprenons plus haut.

J’étais sur le point de me taper un polygone aphrodisiaque quand j’ai été ébloui par l’éclat d’une apparition.

 

Je dis : 

Mes iris pubiens commencent à distinguer une forme. C’est statuaire, grandiose dans une matière si dure qu’elle inspire le respect de s’affirmer avec tant de force et de conviction. 

La forme fixe est installée sur un rond-point flottant. Elle diffuse une chaude clarté à thermostat variable. L’aigle qui semblait être crevé et cousu au dos de la forme ne faisait en réalité qu’une micro-sieste réparatrice. Après s’être étiré et avoir poussé deux trois gueulantes, il se met à battre des ailes et une douce brise vient chatouiller l’intérieur de mes cavités en un long va-et-vient essoufflé.

 

Le polygone s’est tiré. 

Je n’étais peut-être pas son genre.

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