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Revue ESSE- Canada - Janvier 2015

Dernières Nouvelles d'Alsace - février 2013 

Atelier critique de L'L - Audrey Sesana - Mai 2013

Le sourire de l’ange

 

 

Deux minces tressages en cuir tordent la bouche en un rictus : une béance effrayante au milieu du visage. Michaël Allibert sourit, d’un sourire qui annihile toute émotion et transforme son visage en un masque. Il se tient debout, entre ombre et lumière avant d’entamer un strip sur un parterre de paillettes. 15 m2, tout au plus, autour desquels sont placés des tabourets, à différentes distances. Lecteurs MP3 et casques sont à disposition sur certains de ces sièges. Libre à chacun de s’en emparer pour ajouter une dimension sonore supplémentaire à ce « show-installation ».

 

A l’instar des morceaux en écoute, les gestes lents et précis de Michaël Allibert se répètent inlassablement. Il prend pour point de départ systématique un côté de son carré de jeu. Cet interstice, entre chiens et loups, apparaît comme une frontière entre le monde de la représentation, baigné de lumière et de strass, et celui, obscur, de l’anonymat. C’est dans cet espace frontalier que Michaël Allibert se prépare avant de se jeter sous les feux de la rampe, ou qu’il vient se revêtir et clore une de ses boucles.

Son protocole semble immuable. Telle une poupée mécanique, il effectue son circuit avant de s’immobiliser un temps. Pourtant, à la fin de chaque cycle, il s’écroule un peu plus. Comme si la lassitude prenait (enfin) possession de son corps et le forçait à se courber, en dépit de son indéfectible sourire.

Ainsi, l’artiste soumet son corps à l’exploitation de nos regards. Il devient objet, marchandise sexuelle, désolidarisé de son visage qui, seul, suffirait à réaffirmer son individualité. Au lieu de quoi, son sourire factice, épouvantablement figé, crée un hiatus entre le corps et l’esprit de Michaël Allibert, et, à travers lui, de tous les travailleurs du sexe qu’il incarne en se produisant.

 

En regard du chantier montré lors du VRAK, il y a un an, Michaël Allibert se déleste de ses accessoires stéréotypés et superflus (masque en latex, bas résilles, corset) pour montrer ici une cohérence entre son questionnement (quel est le degré de relation entre spectacle et prostitution ?) et les moyens mis en œuvre.

La performance s’échelonne sur huit heures (temporalité assimilée à une journée de travail). A tout moment, il nous est loisible de quitter la salle, d’aller et de venir, de revenir même. En somme, un spectacle conçu pour être à la disposition des envies de son assistance. Ainsi, Michaël Allibert feint ne pas nous prendre en otage, pour mieux servir son propos. La liberté d’action qu’il nous laisse est en effet restreinte. Nous pouvons sortir de son installation et revenir à tout moment ; des allées et venues qui viennent renforcer notre position de voyeur, hypocritement pudique. En ce sens, Michaël Allibert sert son propos en englobant l’assistance dans son processus de monstration ; c’est-à-dire, en la dirigeant malgré elle.

 

Audrey Sesana

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